Orthorectification
Relevés architecturaux au 1/50 des élévations
des Thermes de Cluny (Musée National du Moyen Age, Paris)

En collaboration avec Ph. Lenhardt (INRAP), M. Gleizes (SRA Ile-de-France) et M. Andry (Drac Centre)

Bertrand Chazaly
Topographie & Patrimoine Culturel
38 av. Georges Clémenceau, 77400 Lagny sur Marne, France
Tel. : 01.64.02.11.61  E-mail: contact@topo-patrimoine.com
Site internet : http://www.topo-patrimoine.com



Elévation Est du tepidarium .
Situés au cœur de la capitale, les Thermes de Cluny forment avec l'hôtel des abbés de Cluny deux monuments parisiens exceptionnels, au sein desquels est installé le musée national du Moyen Age. Ces thermes gallo-romains (Ier-IIIe siècles) sont l'un des témoignages les plus spectaculaires de l'architecture antique conservé sur le sol de la Gaule. Lutèce se partageait alors en deux ensembles urbains, l'un blotti à l'intérieur de la Cité; l'autre sur la rive gauche de la Seine (Montagne Sainte-Geneviève). C'est là que se sont développés villas et monuments grandioses : le Forum sous la rue Soufflot, les arènes rue Monge, les thermes du sud rue Gay-Lussac, les thermes de l'est sous le Collège de France et les thermes du nord dits de Cluny.
Les thermes du nord revêtent une importance particulière du fait de leur état de conservation exceptionnel ; la réutilisation pratiquement continue de l'édifice depuis le Moyen Age en est la cause principale. Les thermes étaient formés de différents espaces, destinés au public ou aux services, et de souterrains. On identifie aisément les trois salles importantes : le frigidarium (salle froide) englobé dans le musée avec sa voûte de 15 m de haut ; un calda à l'ouest bordé par le boulevard Saint-Michel et un autre caldarium au sud à l'angle du boulevard Saint-Michel et de la rue Du Sommerard. Ces deux dernières salles sont en partie ruinées depuis le XVIIIe siècle. Les murs en élévation ont conservé leur structure d'origine qui se singularise par l'emploi de petites pierres carrées séparées à intervalles réguliers de rangs de briques. A l'intérieur, ils étaient recouverts de mosaïque, de marbre ou de peinture. Le frigidarium en conserve des traces. Le fragment de mosaïque aujourd'hui exposé, « un Amour chevauchant un dauphin », pourrait en constituer le dernier vestige. Cet ensemble architectural était comme bien d'autres thermes, l'un des hauts lieux de la civilisation romaine.
(source : site internet du Musée National du Moyen Age : http://www.musee-moyenage.fr)
 

OBJECTIFS : Le but des relevés est de fournir une cartographie précise et riche des élévations de chaque salle. La contrainte est bien sûr géométrique (précision inférieure au centimètre, compatible avec une échelle du 1:20) mais aussi sémantique et budgétaire : il faut fournir une représentation des éléments architecturaux permettant la lecture et l’interprétation des différentes structures du monument, et ce dans un cadre budgétaire raisonnable.

Dans l’hypothèse du choix de la photogrammétrie comme technique de relevé, il est évident que la première condition pouvait être remplie. Mais la précision sémantique est directement liée à l’objectivité du regard que porte le photogrammètre sur le monument qu’il restitue, donc à son expérience dans le domaine particulier du patrimoine architectural. De plus, le budget prévu ne permettait pas dans ce cas la restitution détaillée de tous les éléments visibles. Enfin, la méthode ne dispensait pas l’architecte d’un retour sur le terrain pour l’interprétation des structures relevées. Un test a d'ailleurs été réalisé et n'a pas fourni les résultats attendus.

La recherche d’une méthode alternative a rapidement aboutit à l’orthophotographie. Dans l’hypothèse où cette technique pouvait assumer le relief très prononcé de certaines élévations et le peu de recul disponible pour les prises de vues, il est apparu évident que les résultats auxquels elle aboutirait pouvaient garantir précision et richesse d’information, en restant dans le cadre des crédits prévus.

C’est dans ce contexte que j’ai été sollicité. Il m’a fallu perfectionner les procédures de rectification afin d’assurer la production d’orthophotographies précises couvrant des surfaces où les écarts de profondeur dépassent les 2m.
 

METHODE : Une photographie donne une représentation plane d’un objet en 3 dimensions. Cette représentation est déformée par la perspective, le relief de l’objet et les distorsions de l’objectif.
La rectification(1) d’une photographie consiste à corriger ces déformations en replaçant chaque élément de l’image à sa position géométrique exacte dans un plan de projection. Cette opération utilise notamment la correspondance entre les coordonnées terrain de points remarquables et les coordonnées cartographiques de ces mêmes points dans le plan de projection.
Si les premiers logiciels ne permettaient de corriger que la perspective pour ne redresser que des photos d’objets plans vus de biais, les derniers développements utilisent un modèle numérique de la surface de l’objet photographié, permettant d’assurer une représentation orthographique correcte de surfaces au relief important.

Utilisation d’un modèle numérique

Un modèle numérique de surface est une représentation du relief de la surface réelle de l’élévation étudiée. On pourrait affirmer qu’il existe autant de manière de représenter numériquement une surface que de méthodes d’interpolation, de moyens d’acquisition  et de logiciels de traitement. Dans le cas présent, c’est une grille de points régulièrement espacés qui, rapportés à la surface de projection choisie pour l’orthophoto, fournissent l’écart entre cette surface de référence et la surface réelle de l’objet.
La résolution de cette grille est telle que chaque point de la grille n’est pas mesuré mais interpolé à partir d’un nuage de points beaucoup moins lourd mais assez dense pour rendre compte globalement du relief. Cette résolution est choisie en fonction de la résolution de l’orthophoto à produire et du relief. Elle est ici de un point interpolé tous les 2 centimètres. Aux endroits où le relief décroche ou est très perturbé, la résolution a été localement doublées, pour éviter l’effet « marche d’escalier » (mosaïquage de l’image).

Le nuage de points utilisé lors de l’interpolation est mesuré « manuellement (2) » sur le terrain à l’aide d’une station totale à mesure sans réflecteur. Afin d’affiner le calcul du modèle, l’interpolation utilise aussi des lignes de rupture mesurées en même temps que le nuage de points. Ces lignes permettent d’éviter que le modelé soit érodé par l’interpolation aux endroits où il présente de brusques variations.
En plus de son utilisation lors de la rectification des prises de vues, le modelé de surface et les données utilisées pour son calcul peuvent être aussi exploités pour :

  • produire les tracés succincts en élévation des contours des principaux éléments de façade
  • calculer des courbes de niveaux équidistantes de 5 ou 10 cm, superposables à l’orthophoto.
  • produire un à plat coloré de la surface
  • créer un modelé tridimensionnel du site pour un reconstitution précise et réaliste en imagerie de synthèse.

  • Tepidarium (3) : Courbes de niveau et à plat de couleur tirés du modèle numérique de l’élévation sud
    Pour cette élévation, 3730 points et 60 lignes de rupture ont été mesurés au tachéomètre.

    Prise de vues

    Les élévations ont été couvertes par des prises de vues réalisées par Michel Andry (Atelier de photogrammétrie, DRAC  Centre), sur plaque de verre avec une chambre métrique étalonnée Wild P31. Il a été jugé nécessaire d’assurer une couverture stéréoscopique. La conservation et l’archivage des plaques photographiques et des coordonnées des points de calage levés sur le terrain permettent en effet d’assurer les conditions d’un inventaire fondamental du monument à la date de prise de vue. Il sera alors possible de fournir ultérieurement les informations complémentaires demandées par de nouvelles études.

    Traitement des prises de vues


    Plaque 12.5 x 10 cm numérisée à 1200 dpi
    en 16 bits par couche (65500 niveaux de gris)
      

    Traitement de l'image
    (correction des ombres, contraste général)

    Rectification et assemblage cartographique

    L'orthorectification utilise un programme que j'ai mis au point et perfectionné pour ce chantier. Ce programme construit pixel par pixel l'orthophotographie en replaçant chaque élément à sa position exacte, grâce notamment à l'information apportée par le modelé numérique de chaque élévation. Il produit ici des images à la résolution de 400 dpi au 1/50, ce qui autorise une édition papier au 1/20. Les orthophotos sont fournis sur CD dans quatres formats numériques : autocad DWG, Adobe Illustrator, Adobe Acrobat et Jpeg.


    Tepidarium : élévation nord
      

    Tepidarium : élévation sud

    Il faut bien avoir conscience que le relief des élévations et le recul disponible sur le terrain ne permettent en aucun cas d'obtenir facilement ces résultats, par un simple montage de prises de vues par exemple: c'est im-po-ssible! Ces images ne peuvent être que l'aboutissement d'une chaîne complexe de traitements, résultat aussi précis que celui d'un relevé photogrammétrique, et bien plus riche.


    Tepidarium : élévation est

    Cette page n'est pas terminée et n'aborde que l'aspect technique de la phase de relevé, phase en cours de réalisation. Avec les archéologues et architectes avec qui je collabore sur ce chantier, il est prévu une publication qui abordera plus largement cette nouvelle étude des élévations des thermes de Cluny.


    1 Le terme “ redressement ” désigne en principe l’opération de correction des déformations dues seulement à la perspective, et ne s’applique de ce fait qu’aux photographies de surfaces planes (opération réalisée à l’origine par des redresseurs mécaniques). Pour désigner l’ensemble des opérations aboutissant à la production d’une orthophotographie, on doit parler d’orthorectification. (retour)
    2 par opposition au scannage laser de type capteur Soisic ou Cyrax. Si ces systèmes permettent d’acquérir rapidement des modelés précis et très denses, leur mise en œuvre implique  un coût incompatible avec la contrainte budgétaire exprimée dans ce cas. (retour)
    3 Salle tiède dans laquelle on maintenait une température de 20 à 25 degrés, afin de préparer le corps des baigneurs à passer dans le caldarium ou le frigidarium. (retour)